Virgil Gheorghiu
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chapitre 4

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Message  gregdenysse Mar 16 Oct - 14:03

P.53 Le jour où Bouche d'Or fut ordonné prêtre, tout Antioche vint à l'église. Pour les Antiochiens il n'était pas seulement le fils d'Anthuse. Il était maintenant un athlète chevronné du Christ, qui avait mené des combats terribles. Les marques de ces combats étaient visibles sur tout son être. Bien qu'âgé seulement de 40 ans il avait presque blanchi. Il avait perdu ses cheveux. Son corps était petit et décharné. Vêtu de l'unique vêtement qu'il possédait, il ne devait pas peser plus de 40 kilos. Il avait réalisé les paroles de l'apôtre: «Faites mourir vos membres, les membres de l'homme terrestre.» Il avait fait mourir son corps. Il était recommandé: «Attachez-vous aux choses d'en haut, et non à celles de la terre.» Pour Bouche d'Or le ciel seul existait.
P.54 Paul et Bouche d'Or soutiennent que Jésus a porté la croix, pour la rédemption des hommes. Si les hommes n'acceptent pas le salut, le sacrifice du Christ est inefficace.
De façon concrète il veut convertir au christianisme tout Antioche, jusqu'au dernier homme et amener chaque chrétien à vivre exactement comme l'avait demandé Jésus. Telle était son ambition. Il savait qu'il était petit et en ruines. Lui-même disait que l'abeille, un des plus petits insectes volants, fait le miel qui est la chose la plus douce du monde. La foule devine la témérité du prêtre. La foule sait qu'elle va assister à des combats comme il n'en a jamais existé en Antioche. Aussi personne ne manque-t-il dans l'église le jour de l'ordination. Même les païens sont là! Pour son premier sermon Bouche d'Or est ému. «Je vois là, maintenant, cette grande ville, ce peuple si nombreux, cette étonnante multitude qui dirige ses avides regards vers ma petitesse, comme si quelque chose de remarquable devait sortir de ma bouche».
P.55 Jean savait aussi - intuitivement - quelle était l'arme avec laquelle il combattrait et par laquelle il périrait: la parole. Le jour où il fut ordonné, dans le discours qu'il prononça en tant que prêtre, il apporta en offrande au Seigneur des paroles. C'est avec la parole qu'il allait combattre et c'est à cause des paroles sorties de sa bouche d'or qu'il devait mourir.
«Je me suis proposé en ouvrant pour la première fois la bouche dans une église, de consacrer à Dieu les prémices de ma parole, de ce don qui nous vient de Dieu.» Il dit que de toutes les offrandes, Dieu aime le plus l'offrande de la parole. Le prophète Osée s'adressant à des pécheurs qui voulaient apaiser la colère de Dieu, leur recommanda de donner pour offrande, non des troupeaux entiers de boeufs, ni d'abondantes mesures de froment, ni tourterelles, ni colombes, ni rien de semblable enfin, et quoi donc? Que dit-il? Portez des paroles de louanges.
Il dit aux fidèles, je veux que vous deveniez parfaits. Il n'existe pour l'homme, sur la terre, qu'un seul danger: le péché. Il cherche donc à sauver les hommes du péril du péché.
La foule d'Antioche est enthousiasmée par les homélies de Bouche d'Or. La foule applaudit, crie, pleure, agite les mouchoirs... «Je n'ai pas entrepris ma tâche pour le plaisir de parler et de savourer les applaudissements enthousiastes, mais pour ramener les égarés sur le chemin de la vérité». P.56 La foule l'écoutait comme un joueur de flûte. La foule le vénérait, savourait chaque phrase, chaque parole. Pour ce qui est des péchés: l'ivrognerie, le mensonge, le vol, la coquetterie, l'orgueil et tant d'autres, les Antiochiens remettent l'exécution de ces recommandations à plus tard.
«Le christianisme, dit Kierkegaard, est comme une cure radicale pour un malade. Le malade est convaincu de l'efficacité de cette cure mais aussi longtemps qu'il peut bouger, qu'il peut continuer sa vie, il retarde le geste héroïque de commencer cette cure, il le remet au lendemain».
Les Antiochiens écoutaient, dans le délire, les sermons de Bouche d'Or et étaient tous décidés de mettre en pratique ses conseils, mais non pas immédiatement, plus tard. Pour l'instant ils continuaient leur vie avec leurs petits péchés, décidés à s'en défaire un jour lointain. Plus tard. Bouche d'Or arriva, de nombreuses fois, à l'exaspération, en voyant cette foule qui écoutaient ses sermons, debout, des heures entières, mais qui ne suivait pas ses conseils.
Bouche d'Or ne s'intéressait pas à l'atmosphère politique dans laquelle il vivait. Un saint est au-dessus de l'histoire. P.57 L'Église et les saints ont, avec les réalités politiques, les mêmes relations que l'huile avec l'eau: Ils sont dans le même vase mais l'huile reste au-dessus et l'eau au fond, et ne se mélangent point. L'Église et la politique ne se mélangent pas, bien que vivant dans le même espace et à la même époque, contemporaines l'une de l'autre. Leurs natures sont trop différentes. Elles s'ignorent. De temps en temps surgissent des événements qui troublent les éléments, qui les mélangent, pour un temps, on ne peut plus savoir lequel est l'eau, lequel est l'huile. C'est un mélange trouble. L'autorité éternelle est mélangée à l'autorité temporelle. Les saints tombent dans le camp des soldats, et les soldats dans le monde des saints; nulle plaque indicatrice ne dit plus où est l'Église et où est la politique. Tout est mêlé.
Un orage semblable survint à Antioche en 387, le 26 février. Des affiches officielles annonçant une augmentation des impôts firent leur apparition à Antioche. Il est certain que l'impôt n'intéressait pas Bouche d'Or. Il disait: «Rendez à César ce qui appartient à César», maintenant il était obligé de s'occuper aussi des impôts. Le problème n'était pas simple.
En ce temps-là, Théodose régnait sur l'empire romain. L'histoire en garde un fort bon souvenir et l'appelle Théodose le Grand. Il semble qu'il venait d'avoir 50 ans et préparait pour cet événement des festivités grandioses. Des festivités qui coûtaient de l'argent. Il fêtait aussi le 10ème anniversaire de son avènement. Tout tombait en même temps. A cette occasion Théodose avait promis à chaque soldat de l'armée impériale un cadeau: cinq pièces d'or.
P.58 Cette générosité envers les soldats, qui étaient en majeure partie des barbares, était absolument nécessaire, parce que les soldats s'étaient révoltés en divers endroits de l'empire.
Théodose, bien que l'histoire l'ait appelé «le grand», procéda comme tous les petits empereurs qui ont besoin d'argent: il créa un nouvel impôt. Cette nouvelle qui arriva à Antioche provoqua une panique plus grande que l'annonce d'une invasion de sauterelles ou l'apparition d'une épidémie de choléra.
La population sortit dans les rues, désolée, les femmes pleuraient, les hommes se lamentaient. Une partie de la population partait déjà, afin de ne pas se faire appréhender par les agents du fisc. D'autres songeaient à se suicider, considérant le suicide préférable à un nouvel impôt. Mais la plupart des Antiochiens cherchaient une solution. Ils cherchaient quelqu'un qui voulût aller trouver l'empereur et l'implorer de les exempter de cette terrible calamité qu'était cet impôt nouveau.
Les Antiochiens n'aimaient pas plus l'argent que les citoyens de notre temps. Il aurait donc été normal qu'ils se répandent en invectives à l'égard de l'administration de l'empire et qu'ils payent la nouvelle taxe. Comme cela se fait de nos jours.
Mais dans ces temps-là, le paiement d'un impôt signifiait des tortures, des morts, des blessés, des enfants devenus orphelins, des femmes devenues veuves, des hommes invalides.
Un écrivain de l'époque, Firmianus Lactantius, écrivit qu'à «la perception des impôts on mesurait les champs par mottes de terre, on comptait les pieds de vigne, on inscrivait les bêtes, on enregistrait les hommes. P.59 On n'entendait que des coups de fouet, des cris de torture. L'esclave fidèle était torturé contre son maître, la femme contre son mari, le fils contre son père. Fautes d'autres témoignages on les torturait contre eux-mêmes. Et quand ils cédaient, vaincus par la douleur, on inscrivait ce qu'ils n'avaient pas dit... A peine se rapportait-on à ces premiers agents; ou on en envoyait d'autres pour trouver davantage et les charges doublaient toujours, ceux-ci ne trouvant rien, mais ajoutant au hasard, pour ne
point paraître inutiles.»

En face d'une nouvelle taxe, la panique et l'épouvante
P.64 Pendant que les Antiochiens brisaient les statues impériales, Bouche d'Or préparait son sermon pour le lendemain. Il n'écrivait jamais ses sermons, mais il les préparait toujours à fond, étudiant son sujet, méditant. Lorsque le préfet Tisamène ordonna le massacre, Bouche d'Or laissa son discours de côté. Il ne s'agissait plus de sermon pour le lendemain. Il parlait dans toutes les églises d'Antioche, à tour de rôle, non seulement pour les fêtes, mais presque chaque jour, afin que le plus grand nombre de citoyens pût l'entendre.
Bouche d'Or avait dit dans un sermon: «Bien que les hommes meurent régulièrement depuis leur apparition sur la terre, l'incertitude du moment de la mort et la laideur de la mort, font que les hommes ne s'y habituent jamais. Chaque fois qu'un homme meurt, l'événement est si grave qu'il semble être la première mort qui arrive.»
P.68 Bouche d'Or avait, lui aussi, les yeux pleins de larmes. C'était un saint et un saint souffre avec chaque homme. Pendant son discours le saint pleurait. Il s'adressa aux hommes et les implora: «Donnez-moi votre âme... Tâchons de la remettre entre les mains de Dieu... Dieu prend plus soin de notre salut que nous-mêmes, car il est notre créateur.» P.69 «Ce n'est pas seulement la parole des saints, c'est leur visage qui resplendit d'une grâce spirituelle».
P.71 Les paroles prononcées par Bouche d'Or en ces jours où le préfet Tisamène noyait la ville dans le sang étaient les seules paroles d'espoir adressées aux malheureux hommes d'Antioche condamnés à mort en masse pour avoir brisé quelques statues. Bouche d'Or donnait aux Antiochiens l'espérance.
Tous les citoyens se serrèrent autour de lui. Tous les hommes d'Antioche devinrent chrétiens. Et tous les chrétiens se surpassèrent en vertu. «Toute la cité paraît être devenue une église. Antioche ressemble à une dame noble.» dit Bouche d'Or. Les hommes ne buvaient plus, ne juraient plus, ne mentaient plus. Bouche d'Or avait demandé aux Antiochiens de pratiquer une des plus difficiles vertus: aimer leurs ennemis. «Je le dis, je le proclame, je le publie à haute voix: qu'aucun de ceux qui ont des ennemis ne s'avance vers la Table Sainte et ne reçoive le corps du Seigneur, qu'aucun de ceux qui s'en approchent ne conserve en son coeur des sentiments d'inimitié. Haïssez-vous votre ennemi? N'avancez pas.»
P.72 Cet état de haute et pure atmosphère chrétienne ne dura pas longtemps. Le 15 mars 287 les fidèles d'Antioche abandonnèrent Bouche d'Or. Tous. En foule. Il resta subitement seul. Rien que lui, le saint, les yeux tournés vers Jésus. Tous ses fidèles lui tournèrent le dos. Ils tournèrent le dos à l'Église. Ils tournèrent le dos à Jésus. Tous jusqu'au dernier. Et le saint se trouva brusquement plus seul que lorsqu'il était dans la caverne.
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